MOF – maître-pipier – Jean (IV) Nicolas : le dernier des Mohicans

Article écrit pour le magazine « LE TOUT LYON » en RHONE-ALPES, actualités. Du Samedi 25 Avril au Vendredi 1er MAI 2009.

La saga a débuté en 1885. Quatre générations plus tard, les « Jean Nicolas » sont toujours maîtres-pipiers. Pourtant, il subsiste peu de chance d’en voir une cinquième.
Les vicissitudes du temps sans doute, les changements sociétaux et législatifs aussi…

Jean Nicolas Maitre Pipier le Tout LyonIl a changé son tablier « il y a trois, quatre ans » ; 25 ans de labeur commun. Gardera t-il le prochain aussi longtemps ?
Pas sûr… Rendra-t-il son tablier par anticipation ? Disons qu’à l’instar de ses outils, séculaires pour certains, Jean Nicolas, vrai bouille, réelle gueule digne d’un personnage de film, est usé. Non pas que la passion de son métier lui ait joué des tours – il l’a toujours accrochée aux lèvres – mais la conjoncture économique et la législation « anti-tabac » consument peu à peu son énergie. « Les gens font réparer du superflu, ils fument moins, les jeunes surtout dépensent moins… ». Plus grave, pour lui, « les métiers d’arts disparaissent car les Français ne s’y intéressent plus ». Heureusement, les étrangers sont là. Son site internet lui amène curieux et initiés de tous horizons : Italiens, Polonais…

Pourtant quelle histoire ! Quelle saga ! Elle dure depuis 1885, lorsque Jean Nicolas, premier du nom, débarque entre Rhône et Saône en provenance de Tarascon. Il apprend le métier de maître-pipier et ouvre un magasin de pipes, cannes, éventails sous les arcades de l’opéra. Son fils le rejoint en 1905 à tout juste 14 ans ; Jean, troisième du nom, entre dans la maison à 17 ans. Nous sommes en 1950. Jean (IV) Nicolas n’échappe pas à l’atavisme familial : en 1976, à seulement 16 ans, le voilà qui embrasse la profession. Cinq ans plus tard, la maison éponyme quitte les arcades et trouve refuge rue Gasparin, dans le deuxième arrondissement de Lyon. Elle s’y trouve toujours. Fabrication, réparation, ventes, l’homme est au four et au moulin.
En pipe standard, la maison Jean Nicolas propose plus de 24 formes classiques de pipes de la Néogène à la Chasse. Pipes lecture – tuyau long pour une fumée plus fraîche – Brûles-Gueule – pipes courtes et légères – les Géantes – à savourer au calme – sans oublier celles pour dames – fines et élégantes – qui représentent 10 % de sa clientèle.

Jean IV n’aura pas de successeur
Quant au choix des matériaux, il se révèle une invitation à l’évanescence : souche et plateau de Bruyère, Rognon d’Ecume, pipes en maïs du Missouri ou en porcelaine, la création d’une pipe fabriquée à la main requiert cinq à treize heures de travail. On comprend mieux la lassitude de Jean Nicolas : « Aujourd’hui, on veut tout faire trop vite. C’est tellement plus simple de fumer une clope (sic) ». Ringard pour certains, trop cher pour d’autres – le premier prix oscille entre 70 et 80 € – fumer la pipe est avant tout un savoir-être, une dimension qui se perd. Comme le métier d’ailleurs. « Il n’a jamais existé d’école ou de formation particulière, nous sommes tous des autodidactes ». Tous ?
Avec Jean IV, on ne recense plus que trois maîtres-pipiers dans l’Hexagone « et on ne se connaît pas, s’amuse Jean Nicolas, sans doute car on ne souhaite pas divulguer nos secrets de fabrication…» Pis, même Saint-Claude, la Mecque de la pipe de bruyère semble frappée par la morosité. Aujourd’hui marginal, cet artisanat se contente de faire la renommée de la ville. Plus inquiétant, le fiston de Jean IV ne prendra pas la suite. Son père l’en a dissuadé.
Maître-pipier est donc un savoir-faire voué à disparaître ; un métier qui se meurt. Mais Jean Nicolas n’a pas la bouille d’un irréductible gaulois pour rien.

Le tabac ? Il aime toujours, du gris ou du Caporal Expert.
Son métier ? Il le passionne toujours autant. Il ne vit simplement plus pareil. Il faut s’adapter, aux gens notamment « plus exigeants voire même plus agressifs ».
Avec sa formidable collection personnelle, Jean IV aimerait créer un musée du tabac ; il attend une fumée blanche.
Histoire que son métier et ses objets ne deviennent pas des chimères.

Pipe pour le concours MOF Le Tout Lyon
Souvenir…
« Le concours de MOF dans la classe Tourneur Pipier en 1991 ? J’en garde un mauvais souvenir. A écouter ma femme, j’ai été exécrable pendant trois mois (rires) ! Si c’était à refaire, je ne le referais pas. En plus, je n’étais pas satisfait de ma réalisation, une reproduction d’une pipe en écume rouge Austro-Hongroise de 1820. D’un point de vue esthétique, elle me semble réussie mais s’agissant des proportions, je me montre nettement moins convaincu…
A l’époque, les pipes étaient cuites au four à bois. J’ai dû transposer les données, intensité et durée de cuisson, afin de les adapter au four électrique. Le nombre d’heures de travail ? Environ 156, en ajoutant le dessin, l’élaboration… nous devons atteindre les 300 heures. C’est un investissement autant physique que mental ».

Article écrit par Christophe Magnette, photographies Angel Sanhueza.

Vous venez de lire le premier portrait de M.O.F réalisé par l’un des rédacteurs du journal LE TOUT LYON, Christophe MAGNETTE.
Chaque semaine nous pourrons retrouver le portrait d’un M.O.F dans ce journal, et ce durant 40 semaines.

Ces portraits de Meilleurs Ouvriers de France du Rhône et de la région Rhône-Alpes, seront ensuite réunis dans un livre sur les Meilleurs Ouvriers de France.

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